Agulla d’Ixeia, tucas d’Ixeia, traversée 1 juin
En repassant dans ma cervelle les beaux endroits parcourus l’été dernier, je viens de décider qu’il faut dire un mot des Tucas d’Ixeia.
Il s’agit des montagnes râpeuses qui dominent Vénasque. Leur versant nord offre un paysage fantastique, cadre magnifique pour se faire dévorer par les moustiques de Batisielles ou grimper sur l’excellent granite de Perramó. J’avais imaginé emmener un jour un matériel un peu sérieux d’escalade pour traverser les sommets, car j’avais remarqué que deux brèches profondes pouvaient proposer des complications. Hypocrisie ou légèreté d’allure, on est montés dormir à Escarpinosa avec un bout de corde coupé dans un vieux rappel, quatre sangles et quatre mousquetons. Ah! mais du boudin noir, des pommes et du vin rouge, ça oui. Le projet était d’ »aller voir pour une prochaine fois »…
On a commencé par se demander si on parviendrait à l’aiguille principale. Mais des corniches faciles sur le versant sud ont donné accès au sommet. J’ai failli marcher sur un isard: il était couché dos au soleil (et à moi qui arrivais en regardant ailleurs), pile au sommet, et il a fallu qu’Erwan me fasse signe pour que je m’aperçoive de sa présence cornue (pointes vers l’extérieur: un mâle, n’est-ce pas?) On est restés un instant à le regarder se lécher les aines, puis il a tourné la tête nerveusement, s’est levé comme un ivrogne dégrisé par la survenue d’un martien, et a filé vers le nord. En tendant le bras je lui aurais flatté l’encolure comme à un bon poulain amical.
Distraits et enjoués par ce joli spectacle, on a suivi la crête horizontale, puis commencé à désescalader des cailloux. Un spit (j’ai dit à propos de l’aiguille de Perramó que le massif est fréquenté par un bricoleur frustré, qui monte avec sa perceuse le dimanche matin pour faire des trous loin de sa femme acariâtre) signale une première désescalade facile versant sud. Puis on contourne un groupe de gendarmes par le nord (III sup). Puis autre spit, autre désescalade versant sud, et première brèche.
On escalade en II le sommet suivant, puis nouvelle promenade horizontale. On a commencé à se dire qu’on avait fait la traversée, quand tout d’un coup un vide immense s’est creusé devant nous. Bref désappointement, pas envie de faire demi-tour, et on s’est avisés de l’existence d’une grande cheminée entre deux strates verticales de calcaire, côté sud. III, puis II, puis I et terrasses pierreuses. Un crochet à droite (dans le sens de la descente), puis on reprend tout droit vers la brèche, et on finit par une vire côté sud pour mettre le pied dans la brèche.
Ici se confirme ce qu’on voyait pendant la descente: la brèche est dominée par un mur compact et vertical de calcaire gris. Il faut atteindre une fine fissure horizontale et la suivre jusqu’à son extrémité droite. Allons! les doigts dans la fissure, les tennis à plat sur la dalle, de temps en temps une sangle autour d’un becquet imprécis, il ne faut pas que ça dure plus de 22 mètres et cinquante centimètres parce que l’encordement à la taille ça a pris de la longueur sur notre quart de rappel du jour. Arrivé au bout, j’ai pu monter encore un peu mettre la dernière cordelette sur un bon becquet, ce qui a fait sauter les décorations de la traversée, et Erwan s’est lancé à ma suite avec en perspective un pendule plein gaz car le passage est vraiment vertical et domine un couloir encaissé qui file droit. Petite crispation des bras, couinements, puis il est apparu en maugréant, content comme tout. Amusant que notre spiteur ne soit pas venu sécuriser ce crux. C’est IVsup très exposé, je ne crois pas qu’on puisse pitonner la fissure (qui est une vire très fine en fait).
Au-dessus, gravir un moment un couloir, puis revenir à gauche vers le fil de l’arête jusqu’au sommet. Quelle belle course! On peut s’encorder à 30 mètres, prendre baudriers, casques, quelques coinceurs et friends, et pourquoi pas de quoi mettre un piton ou deux.
Descente vers l’ouest. Du Portillón de Eriste, descente vers l’Ibón de Perramó.
Comme il était encore tôt matin Erwan est allé se baigner et moi j’ai continué vers le Chinebro. Mais après deux ou trois sommets j’ai trouvé que ça devenait trop accidenté, et je suis revenu en arrière. Mais le démon de la promenade m’a encore envoyé visiter un gros sommet qui m’intrigue toujours à l’ouest des aiguilles de Perramó et d’où l’on voit d’autres montagnes, d’autres montagnes, encore plus loin, encore plus nombreuses. Je suis redescendu de là avec les semelles qui pendaient comme des langues décollées, pour les jeter dans une poubelle de Vénasque.